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29 janvier 2012 7 29 /01 /janvier /2012 18:35

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«On peut assister dans tous les pays du monde à cette querelle entre les enfants d’un Président qui décède et qui a tellement duré au pouvoir qu’on a l’impression que le fauteuil présidentiel lui appartient… C’est le cas des enfants d’Eyadema qui ont fini par croire que le Togo est une propriété de leur dictateur de père, et qui s’adonnent à des scènes ridicules et humiliantes pour garder la présidence.» 

 

 

 

David Kpelly, est écrivain et blogueur, tenant un excellent blog sur la plateforme Mondoblog de la Radio France internationale (Rfi), distingué en 2010 par le «Prix littéraire France-Togo» pour son roman «L’ange retrouvé». Après «L’élu de la réforme», «Le fratricide de la réforme» et «Le gigolo de la réforme», une trilogie publiée en 2009, le jeune écrivain de nationalité togolaise vivant au Mali depuis quatre années, vient de signer son quatrième ouvrage, un recueil de nouvelles, intitulé «Apocalypse des bouchers» gros de 206 pages, paru aux Editions Edilivre en France en décembre 2011. Pareille à l’histoire politique togolaise de 2005 à nos jours, cette œuvre fait couler déjà beaucoup de salive. A travers ces quelques mots que nous lui avons arrachés, pour le journal Actu Express, l’auteur nous fait découvrir son livre.

 

Que retenir d’ « Apocalypse des bouchers», votre quatrième livre ?

 

 «Apocalypse des bouchers» promène le lecteur en Afrique, notamment à Soutacountry, petit pays imaginaire situé à l’Ouest du continent et limitrophe du Ghana, du Togo et du Benin,  dirigé par un jeune Président Baobab Junior appelé «Le Fort» qui a succédé à son père feu Baobab Senior, un dictateur, et sur les bords du fleuve Niger où l’islam, les traditions africaines, la politique et la françafrique font la loi. C’est le quotidien de pauvres peuples africains écartelés entre les magouilles des dirigeants qu’ils n’ont pas choisis et qu’ils détestent, la religion, les traditions, mais aussi les coups bas de la France.

 

David Kpelly est connu pour son style assez particulier, caractérisé par une verve violente, une fantaisie… un humour au vitriol et après lecture, l’on peut dire que ce quatrième livre, non seulement, va beaucoup faire rire, mais aussi et surtout va faire grincer des dents. Est-ce une provocation à une catégorie de personnes ?

 

Ecrire pour provoquer ? Non. J’ai écrit ces textes imaginaires pour partager avec mes lecteurs, un quotidien qu’ils connaissent déjà très bien, mais qu’ils trouveront sous une forme romancée, avec des invraisemblances, des exagérations, des omissions… Il est vrai que mes personnages, étant des êtres humains ordinaires, peuvent se comporter comme certaines personnes que nous connaissons au Togo, en Afrique ou ailleurs dans le monde. C’est juste une ressemblance, comme dans certaines situations, il peut arriver que tous les hommes, ou la plupart, agissent de la même manière. Par exemple, un de mes personnages est parti consulter un charlatan pour éliminer tous les hommes qui jetteraient le moindre coup d’œil sur le derrière de sa femme. Et il y a au Togo, en Afrique et ailleurs dans le monde, des milliers et des milliers d’hommes qui feraient la même chose !

 

La deuxième nouvelle et l’une des plus drôles du livre, intitulée «Tom et Jerry à la Présidence », met en scène deux frères héritiers, Le Fort et Le Bête, qui se disputent un fauteuil présidentiel laissé par feu leur père dictateur. Vous faites sûrement allusion à la célèbre affaire de tentative de coup d’Etat que d’aucuns appellent encore affaire Faure et Kpatcha Gnassingbé au Togo… !

 

Kpatcha et Faure Gnassingbé ne sont pas les seuls fils de Président au monde. Ma nouvelle est imaginaire. On peut assister dans tous les pays du monde à cette querelle entre les enfants d’un Président qui décède et qui a tellement duré au pouvoir qu’on a l’impression que le fauteuil présidentiel lui appartient jusqu’à ce que ses fils finissent par croire que leur père est un roi, que le fauteuil présidentiel est un héritage familial, et sont naturellement prêts à se disputer pour se l’arracher. C’est le cas des enfants d’Eyadema qui ont fini par croire que le Togo est une propriété de leur dictateur de père, et qui s’adonnent à des scènes ridicules et humiliantes pour garder la présidence. S’ils se retrouvent dans les personnages de ma nouvelle, tant mieux.

 

A travers la troisième nouvelle intitulée «En attendant les bouchers», vous racontez les élections barbares et empreintes de violences dans votre pays imaginaire Soutacountry, suite à la mort d’un dictateur quarantenaire Baobab Senior, que l’armée et les institutions internationales africaines tentent de faire remplacer par son fils Baobab Junior Le Fort, contre la volonté du peuple. On pense directement à une histoire sanglante que le Togo a vécue en 2005. Pourquoi avoir choisi de parler de cette triste et sanglante période en faisant rire ?

 

Je n’écris pas pour faire apitoyer mon lecteur sur quelque fait que ce soit. La littérature négro-africaine a pendant longtemps porté cette carapace où il faut adopter un ton cérémonieux, triste et même révolté en parlant de l’Afrique, parce que c’est un continent qui a souffert, qui souffre… J’écris l’Afrique et par ricochet l’être humain comme il est, comme il peut être, dans différentes situations, en adoptant le ton qui me permet de mieux le cerner. Mes narrateurs racontent l’Afrique dans ses plus grandes détresses en faisant rire. Pas parce qu’ils ne compatissent pas. Mais parce qu’ils pensent qu’ils sont plus logiques, plus objectifs, en traduisant leurs propos par l’humour, la dérision et l’autodérision.

 

«Apocalypse des bouchers» raconte la vie d’un assassin, un véritable tueur, servant le dictateur Baobab Senior, et qui a été ambassadeur de Soutacountry au Canada, renvoyé pour incompétence, ministre de la Communication, conseiller à la Présidence… qui mourra finalement dans une grande humiliation. On y voit le parcours de plusieurs hommes politiques en Afrique et au Togo. Souhaiteriez-vous la mort de ces hommes politiques togolais-là ?

 

(Rires) Je ne sais pas pourquoi vous voulez toujours voir le Togo dans mon pays imaginaire Soutacountry. Je ne souhaite la mort d’aucun homme politique togolais, même s’il est vrai que la mort de certains d’entre eux ne serait qu’un bon débarras, un très bon débarras, une libération nationale pour le Togo. Cette nouvelle est juste une mise en garde que j’adresse à tous les bouchers qui massacrent leurs peuples pour leurs minuscules intérêts individuels. «Malheur à ceux qui bâillonnent le peuple», criait notre héros Thomas Sankara. Et à travers cette nouvelle, je dis la même chose à nos tueurs du Togo et d’ailleurs. C’est vrai qu’ils se retrouveront dans le lugubre personnage de la nouvelle, Kouakou Tohossou, même si ce n’est pas d’eux que je parle.

L’une des nouvelles raconte l’histoire cocasse d’un prêtre qui se retrouve en train de remuer un string au lieu d’un mouchoir devant ses fidèles. Quel message voulez-vous faire passer à travers cette nouvelle ? Critiquer les prêtres ?

 

Je suis né dans une famille chrétienne et j’ai reçu une solide éducation chrétienne. Je sais que c’est un péché que de critiquer son prochain, surtout un oint de Dieu. Les prêtres sont des hommes oints de Dieu, quel que soit leur comportement. Je n’ai pas le droit de critiquer qui que ce soit. J’imagine juste un scénario qui peut bien coller à une situation qui se passe généralement sous nos cieux, que nous connaissons tous, où des prêtres se retrouvent coincés dans des histoires de femmes. C’est choquant, mais la plume doit être en mesure de porter toutes les situations, réelles ou imaginaires, pourvu qu’elles aient un message à traduire.

 

Dans la deuxième partie de votre livre consacrée à un pays musulman qui ressemble beaucoup au Mali où vous vivez depuis quelques années, vous parlez de l’infidélité des jeunes filles. Les jeunes filles de votre pays d’accueil sont-elles infidèles ?

 

(Rires) Donnez-moi un seul pays au monde où il n’y a pas de jeune fille infidèle. L’infidélité n’est pas l’apanage d’un pays, ou d’une société, ou d’une race… Tout dépend de la situation dans laquelle se trouve la femme, ses expériences, son éducation et ses croyances. Les jeunes filles infidèles de mon ouvrage sont face à des situations où elles croient se venger en trompant leurs maris. Il y a Mariam, l’héroïne de la première nouvelle qui couche avec son jeune professeur de marketing à la veille de son mariage dans le but de tomber enceinte de lui ; il y a aussi Aminata, jeune fille de vingt ans, mariée à un fonctionnaire de la soixantaine, mordue des jeunes hommes élégants, qui couche avec un inconnu, juste parce qu’elle le trouve jeune et élégant. Ceci peut se passer dans tous les pays. Mes héroïnes sont dans un pays où au nom de la tradition, et même –horreur- de la religion, on les marie contre leur gré à des hommes qu’elles n’aiment pas, avec lesquels elles ne peuvent vivre. Elles croient donc punir leurs parents et maris en couchant en désordre avec des amants glanés ici et là. Le problème est que certains continuent de croire qu’on peut, au nom de la tradition et de la religion, faire avaler n’importe quoi autour de soi. Cette époque où on peut attraper la jeune fille comme une poule pour l’offrir à un homme est révolue, n’en déplaise à ces coutumes, traditions et même religions à qui on prête ces principes d’un autre temps.

 

La nouvelle «Reniement de Pierre» raconte l’histoire d’un jeune Camerounais maltraité et jeté injustement en prison dans un pays du Sahel. Croyez-vous que la discrimination peut aller si loin entre Africains ?

 

La discrimination peut aller loin, très loin, plus loin qu’on ne peut l’imaginer, entre les citoyens d’un même pays. L’homme a toujours cette tendance à transformer les différences en sources de conflits. Les Africains ne s’acceptent pas entre eux ! Les guerres tribales et génocides qui jonchent notre histoire l’attestent. C’est la même chose pour les Européens, les Asiatiques… Nous n’arrivons pas à dépasser nos différences. Un Togolais peut souffrir aussi atrocement au Sénégal qu’un Malien en France. Je vis depuis quatre ans au Mali, un pays qu’on présente comme l’un des plus hospitaliers de l’Afrique, et je sais ce que subissent les étrangers. Ce qui se dit sur les médias est différent de ce qui se fait dans les marchés, les écoles, les églises, les mosquées… Les Africains dépensent toutes leurs énergies à critiquer les Blancs qui ne les acceptent pas, alors qu’ils n’ont pas encore appris à s’accepter entre eux. Les Equato-guinéens passent tout leur temps à expulser leurs voisins Camerounais, la Lybie s’époumone à renvoyer les subsahariens…. Des scènes d’Africains malmenant des Africains, on peut en voir dans tous les pays d’Afrique.

 

Ce livre va sûrement faire un scandale au Togo mais aussi au Mali où vous vivez. Ne craignez-vous pas des représailles ?

 

Des représailles ? Mais je ne parle ni du Togo ni du Mali ! Je parle des êtres humains ! Et n’importe quel être humain peut se retrouver dans mes personnages. L’essentiel, c’est de s’assumer.

 

Réalisée par Kodzo A. Vondoly

Pour Actu Express

 

Interview parue dans le journal togolais Actu Express N°176 du mardi 10 Janvier 2012

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