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11 décembre 2011 7 11 /12 /décembre /2011 11:31

 

 

KPELLY

 

Interview de David Kpelly sur son nouveau livre, Apocalypse des bouchers

Il est jeune, talentueux et passionné d'écriture. David Yao Kpelly, l’écrivain-blogueur à la plume acerbe, très connu sur Mondoblog RFI. Dans un entretien à Terenga Vision Medias (www.thiesvision.com), le jeune écrivain parle de son nouveau livre polémique, sa passion pour l'écriture, son sens de l'humour, en passant par les successions Père-fils en Afrique, les similitudes et différences entre Faure Gnassingbé au Togo et Karim Wade au Sénégal, la place de l'Afrique dans le concert des nations…  

TVM: Présentez-vous aux lecteurs et internautes de TVM

 David Kpelly : Merci de l’opportunité que vous m’accordez de partager certaines de mes visions avec vos lecteurs. Je suis Yao Mawuenya David Kpelly, togolais de 28 ans vivant depuis quatre ans au Mali. J’enseigne depuis trois ans le Marketing et la Communication à l’Institut de Management et de Technologies du Mali. Je suis auteur de trois recueils de nouvelles parus en 2009 aux Editions Edilivre à Paris (France). Je suis également blogueur pour la Radio France internationale, RFI, sur la plateforme Mondoblog depuis 2010.
TVM: Parlez-nous de votre nouvel ouvrage, Apocalypse des bouchers, qui sort dans quelques jours. Qu’est-ce qui a motivé l’écriture de ces nouvelles ?
David Kpelly : Mon livre Apocalypse des bouchers parle, tout comme mes trois premiers livres, de l’Afrique. Une Afrique toujours plongée dans un malaise indescriptible généralement dû à une situation sociopolitique très instable, des relations louches avec le reste du monde, l’Occident en l’occurrence, une histoire tronquée, et aussi des coutumes et traditions qui peinent à tenir debout de nos jours. Le livre est subdivisé en deux parties : une première partie intitulée « Contes et légendes de ma boucherie », où il est question du quotidien des habitants d’un petit pays imaginaire de l’Afrique occidentale dirigé par un fils ayant remplacé, à la suite d’une élection frauduleuse et entachée de violences, son père dictateur d’une quarantaine d’années, et une deuxième partie intitulée « Contes et légendes des bords du fleuve Niger » qui décrit le chaos d’un pays africain à majorité musulmane écartelé entre la religion, les coutumes et traditions, la politique, la xénophobie… C’est le regard de jeunes Africains sur leur continent vilipendé et qui n’arrive pas à lever la tête.

J’écris sur l’Afrique et son quotidien meublé de problèmes, de déceptions, d’échecs, de soupirs, de larmes parce que je partage la conception selon laquelle un écrivain est un observateur de son époque. Les écrivains de la Négritude ont écrit sur la colonisation et la déchirante rencontre entre les cultures africaine et occidentale. C’était leur époque. Aujourd’hui, même si cette rencontre engendre toujours une flopée de conflits, je ne pense pas que ce soit la majeure caractéristique de l’Afrique de mon époque. L’Afrique que je connais, que j’ai toujours connue, est celle-là qui hésite toujours entre un passé mythique et un présent raté, et qui observe l’avenir sans grand espoir. Une Afrique naufragée dont le premier responsable est elle-même.

TVM: Pouvez-vous nous expliquer le titre qui fait si peur ?

David Kpelly : Apocalypse des bouchers est le titre de l’une des nouvelles du recueil. Dans la Bible, le livre de l’Apocalypse décrit la fin du monde. Une fin tragique pour les méchants hommes. Les méchants hommes dont les bouchers, ces hommes sanguinaires qui, aveuglés par leurs vils intérêts particuliers et d’autres raisons obscures, ne peuvent vivre sans le sang de leurs concitoyens auxquels ils se sont imposés, dans la plupart des cas de manière violente et frauduleuse, comme dirigeants. Le boucher, au sens figuré, désigne un homme sanguinaire. Et dans la nouvelle qui porte ce titre, je décris la fin très tragique d’un homme sanguinaire, un félin, un tueur de la République, qui a fondé son ascension sociale sur le meurtre. Des lecteurs de mon pays, le Togo, et d’autres pays qui lui ressemblent sur le plan politique, y trouveront le parcours d’un ou plusieurs hommes politiques de leurs pays, ces hommes qui volent, violent, mutilent, emprisonnent, tuent chaque jour ou pour garder leurs postes non mérités, ou pour graver des échelons sur l’échelle sociale de leur pays. Le boucher de ma nouvelle se nomme Kouakou Tohossou, ayant assassiné sa mère, son père, son patron, sa femme, ses profs… pour finalement faire la rencontre de feu dictateur Baobab Senior alias Etienno I, une rencontre qui changera sa vie, le fera tour à tour musicien du président-dictateur, ambassadeur, ministre de la Communication, conseiller à la Présidence… Mais il mourra finalement très vil, humilié, profané, dans une totale indignité.

TVM: Il est aussi question dans votre livre de succession Père-fils que vous appelez dans le livre « Le de-père-en-fils ». Les successions père-fils en Afrique : similitudes et différences entre Faure Gnassingbé au Togo et Karim Wade au Sénégal.
David Kpelly: Cette forme de succession est une honte, une très grande honte pour l’Afrique, une tache qui souille notre histoire déjà pas propre. Ne nous méprenons point, ce n’est pas parce qu’on est le fils d’un Président qu’on ne peut devenir Président. Un fils de Président est un citoyen avec les mêmes droits et devoirs que ses concitoyens. Mais c’est la manière dont ceux-là que j’appelle dans mon livre « les fils à papa » accèdent au fauteuil présidentiel dans nos Républiques qui n’est pas saine. Le cas de Faure Gnassingbé est très dégoûtant. Les Togolais se sont levés un beau matin, pour apprendre la mort de leur cauchemar, le dictateur quarantenaire Eyadema. Le temps de pousser un ouf de soulagement, les hideux militaires imposent son fils, Faure Gnassingbé, presque inconnu sur la scène politique togolaise. Sous la pression du peuple qui ne voulait pas du petit héritier, on organise une mascarade d’élections où des centaines de Togolais sont tués, des milliers mutilés, et d’autres envoyés en exil dans des conditions déplorables. Il n’y a rien de plus hideux, de plus insultant pour un peuple aussi civilisé que celui du Togo que d’avoir un dirigeant dont il ne veut pas, et de surcroît qui fait preuve, depuis maintenant six ans, d’une lâcheté et incompétence sans nom.
Quant aux Wade, il faut le dire, malgré toutes les matoiseries dont fait preuve Abdoulaye Wade pour imposer son fils, la tâche lui sera très difficile, et presque impossible. Le Sénégal et le Togo n’ont pas les mêmes passés politiques. Le Togo a connu trente-huit ans de dictature avec Eyadema arrivé au pouvoir par un coup d’Etat, une dictature appuyée par une armée tellement horrible qu’on se demande des fois si ce sont des êtres humains qui la composent. Le Sénégal jouit d’une histoire plus démocratique, depuis le président Senghor, et est d’ailleurs, ou était considéré comme vitrine de la démocratie en Afrique occidentale. Wade est arrivé au pouvoir par un vote démocratique en 2000, et il doit laisser les Sénégalais choisir démocratiquement son successeur. Et les Sénégalais ont déjà à plusieurs reprises montré qu’ils ne veulent pas de Karim Wade. Je ne sais sincèrement pas par quelle magie Wade arrivera à faire tomber le Sénégal aussi bas que le Togo et le Gabon.

TVM: Dans votre livre, vous parlez aussi de l’immigration de jeunes Africains vers d’autres pays d’Afrique. Vous en êtes un. Comment êtes-vous accueilli au Mali, votre seconde patrie ?

David Kpelly : Je vis très bien au Mali. Le peuple malien est un peuple très accueillant. L’hospitalité malienne est d’ailleurs légendaire. Tout n’est pas rose, bien sûr, il y a toujours des xénophobes prêts à brandir partout le spectre de la division. Mais je ne me plains pas trop, même si je rêve tous les jours de retourner chez moi. Cet adage de chez moi le dit si bien : « Un pays étranger même magnifique ne peut jamais être comparé à la terre natale. »

TVM: David Kpelly est-il un réfugié politique ?

David Kpelly : Non, je suis au Mali pour des raisons professionnelles. Je retourne au Togo quand je veux. Personne, mais alors personne, ne peut m’exclure du Togo. Il va falloir d’abord me prouver que je ne suis plus togolais. Mon exil est volontaire.
TVM: L’humour occupe une très grande place dans votre livre et d’ailleurs dans la plupart de vos articles. D’où tenez-vous votre sens de l’humour ?
David Kpelly : (Rires). Je le tiens de mon peuple, le peuple éwé, du sud du Togo, du Benin et du Ghana, connu pour son sens de l’humour, de la dérision et de l’autodérision. L’humour me permet d’atténuer ma révolte et ma rage intérieure, quand j’écris. Mes textes risquent d’être intenables si je ne me sers pas de l’humour.

TVM: Avez-vous des sujets tabous ? Peut-on rire de tout, avec tout le monde ?
David Kpelly : Nous rions de tout chez nous. J’ai surpris à Lomé, en 2005, quelques jours après la sanglante intronisation de Faure Gnassingbé, un groupe de jeunes riant de la manière dont nos brutes de militaires, policiers et gendarmes faisaient irruption dans les maisons pour massacrer les opposants de la dictature. D’ailleurs dans mon livre mes personnages rient de tout, même de leur jeune Président Baobab Junior Le Fort et des infidélités de ses multiples copines, des ébats amoureux de feu son dictateur de père Baobab Senior Etienno I avec les petites filles…

TVM: Vos débuts dans l’écriture, d’où vous vient cette folle envie d’écrire ?
David Kpelly : J’ai commencé à écrire dès mes bas âges, l’école primaire. Je faisais de la poésie. J’ai terminé mon premier roman à seize ans, au lycée. Mon père, qui était professeur de lettres et poète inédit, m’y avait beaucoup encouragé. Il me faisait lire des livres et des livres. Il voulait faire de moi l’écrivain qu’il a voulu être, mais qu’il n’a jamais pu être. L’écriture, c’est moi. Je ne peux pas vivre sans écrire.
TVM: Parlez-nous de vos références littéraires.

David Kpelly : Ce sera long, très long. J’en ai tellement ! Victor Hugo (Notre-Dame de Paris fait partie de mes livres de chevet), Rimbaud (toujours), Lamartine, Baudelaire, Flaubert, Zola, Gide, Maupassant, Céline, Gabriel Garcia Marquez, David Foenkinos… Et en littérature africaine : Mongo Béti, Ahmadou Kourouma, Sony Labou Tansi, Emmanuel Dongala, Alain Mabanckou (bien sûr) et les autres écrivains de la nouvelle génération africaine dont les Togolais Kangni Alem et Sami Tchak.

TVM: Vous êtes écrivain et jeune blogueur, quel regard portez-vous sur la blogosphère africaine ?

David Kpelly : Le blog devient au jour le jour un moyen pour le jeune Africain, privé de parole, de s’exprimer, même si certains blogs peinent toujours à se démarquer du contenu trop journalistique et deviennent de ce fait fades et sans intérêt, comme on n’y voit aucune différence avec un site d’informations.

TVM: Le dernier mot, un conseil aux jeunes écrivains, ou à votre ami Faure Gnassingbé.
David Kpelly : (Rires). Faure Gnassingbé n’est pas mon ami, pas non plus mon ennemi. Il est un concitoyen, un frère à tous les Togolais. Mais un frère en situation irrégulière, un frère qui joue avec l’avenir de ses frères, un frère qui ne veut pas écouter les plaintes de ses frères, et qui au jour le jour gagne leur haine et mépris. Les Togolais sont prêts à lui pardonner s’il leur redonne leur Togo que son boucher de père a confisqué et pillé durant trente-huit ans, et qu’il continue aussi de massacrer pour ses propres petits intérêts d’enfant gâté.

Aux jeunes écrivains du Togo et d’ailleurs, je dis simplement courage, beaucoup de courage. Je ne leur demande pas de faire une littérature militante sans beauté aucune, mais il faut qu’ils mettent leur plume au service de leurs nations. Nous l’avons remarqué dans l’immense œuvre de Victor Hugo, l’un des plus grands auteurs de tous les temps, l’art doit instruire et plaire, et le roman doit presque toujours être au service du débat d’idées.

 

Propos recueillis par Momar Mbaye (correspondant aux Dernières Nouvelles d’Alsace)

Pour Terenga Vision Medias, TVM (www.thiesvision.com)

 

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  • : Ce que je pense du Togo, de l'Afrique, et du monde qui m'entoure. Curieuse manière de le dire des fois, mais bah....
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