L'écrivain malien Hamadou Hampatê Ba
Beau trésor pour le monde africain francophone que ce petit livret numérique, « Panorama des littératures francophones d’Afrique », de l’éditeur français Bernard Magnier. Il m’a fallu juste quelques heures pour parcourir 250 œuvres de 150 auteurs de cette littérature africaine francophone si riche, si jeune, si réaliste et créatrice à la fois, mais qui, malheureusement, a toujours peiné à facilement trouver son grand public hors des frontières africaines.
En parcourant les brèves présentations des œuvres de ces auteurs classés selon les thèmes et suivant une progression chronologique, on découvre une littérature qui, malgré les divisions qu’on a toujours essayé d’y ériger, notamment celle entre les littératures francophones de l’Afrique noire et blanche, celle entre ceux qui vivent et écrivent depuis l’Occident et ceux qui écrivent depuis l’Afrique, ceux qui placent leurs décors et personnages en Afrique et ceux qui ne le font pas, ceux qui sont engagés, et ceux qui ne le sont pas… on découvre donc une littérature unique, peignant d’une seule voix un même continent, qui souffre des mêmes maux, caresse les mêmes espoirs, se heurte aux mêmes désillusions, aux mêmes époques.
En parcourant le thème « Histoires d’enfants, de femmes, de famille », on est frappé par la ressemblance entre L’Enfant noir du Guinéen Camara Laye, Demain j’aurai vingt-ans du Congolais Alain Mabanckou, Le Fils du pauvre de l’Algérien Mouloud Feraoun, La Compagnie des Tripolitaines du Libyen Kamal Ben Hameda, Mémoires en Archipel de l’Algérien Rabah Belamri – j’y ajouterais Le Fils du fétiche du Togolais David Ananou qui ne figure pas dans le livret… tous invoquant les souvenirs enfantins dans des environnements qui sont presque les mêmes : la transmission d’une culture tutélaire par les parents, la mère qui est invoquée avec tendresse et amour, l’apprentissage de la vie, la découverte de l’école, les premières amours…
« Afrique/Europe : Aller-retour ? », un autre thème où la symbiose entre ces auteurs se fait sentir, qu’ils soient de l’Afrique noire ou blanche, vivant en Afrique ou en Europe, plaçant leurs personnages ici ou là-bas… Que ce soient les Marocains Driss Chraïbi et Mohamed Hmoudane qui dénoncent les conditions de l’immigré maghrébin dans Les Boucs et French Dream, le Togolais Sami Tchak qui dans l’iconoclaste Place des Fêtes expose la misère de l’immigré noir à Paris et sa putain de vie, le Congolais Alain Mabanckou qui dans Bleu Blanc Rouge montre à travers la désillusion de son personnage que l’Europe n’est pas toujours l’eldorado rêvé en Afrique, Rue des petites daurades de l’Algérien Fellag, que ce soient les Togolais Kangni Alem et Kossi Efoui qui, dans Cola Cola Jazz et Solo d’un revenant exposent à travers les tribulations de leurs personnages les surprises que peut réserver le retour au pas natal, la Camerounaise Léonora Miano qui peint dans L’Intérieur de la Nuit la désolation de retrouver son pays en guerre, l’Algérien Yahia Belaskri qui dans Un Bus dans la Ville décrit une ville algérienne « endormie », « éteinte » sous les yeux d’un ancien habitant… ils écrivent tous, comme ensemble, malgré leurs différentes terres natales, leurs différentes expériences, leurs différentes visions, le dilemme de ces immigrés africains partagés entre les dures réalités de l’exil, les turpitudes de la terre étrangère, et les horreurs du pays natal où la vie n’a jamais paru rose.
Ce livret est à mettre sur toutes les bonnes tables dans le monde francophone, aux apprenants, auteurs, critiques et enseignants. Il présente, en une seule voix, ces centaines de voix francophones de chez nous qui depuis près d’un siècle maintenant, d’où qu’elles viennent, où qu’elles soient, peignent, de manière directe ou voilée, l’homme noir francophone. L’homme, donc.
PS : Le livret est en numérique, ce qui ne facilitera pas son accès dans les milieux ruraux francophones où le matériel informatique est encore très rare. Une version en papier pour appuyer le numérique ferait sûrement l’affaire. Avis à l’Institut français.