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Aujourd’hui, mon premier cours de la nouvelle année universitaire dans mon école. Management, en première année de Commerce international. Comme à chaque premier cours, je demandai à chacun de la cinquantaine d’étudiants de dire les motivations qui l’ont orienté vers le Commerce international. Après que chacun d’eux eut exposé sa raison, plus ou moins soutenue, une jeune étudiante me demanda, souriante, Eh, bien, monsieur, à votre tour, dites-nous pourquoi vous avez choisi l’enseignement, parce que avec votre profil de diplômé en Marketing et Management, on vous voit plus dans une banque ou une multinationale, et puis vous n’avez pas la tête d’un enseignant. Un applaudissement général accueillit le courage de la curieuse. Je ne pus m’empêcher de rire, déclenchant un rire général dans la classe.
Dites-moi la tête qu’ils ont, les enseignants, demandai-je en riant toujours. La dizaine de réponses que je reçus résumait l’enseignant à un homme généralement âgé, avec quelques cheveux blancs, un look vestimentaire négligé, ou classique, simple, la mine sévère et presque aigrie, tous les airs montrant qu’il vit en tirant le diable par la queue… Et sur la cinquantaine, pas un seul dans le groupe ne rêvait de devenir enseignant après sa formation.
Pendant quelques secondes, je réfléchis à la réponse à leur donner, ne voulant pas les informer de mes activités d’écriture qui me prennent une très grande partie de mon temps, qui me font plus ou moins bouger, et ne me permettent pas de signer un contrat d’employé permanent avec une entreprise, et sachant qu’ils ne me croiraient pas si je leur affirme que j’aime l’enseignement, comme ils avaient déjà leur réponse à la question posée, l’enseignant est quelqu’un qui n’a pas trouvé du travail, c’est-à-dire un travail véritable. Au bout d’une minute, je leur lançai, sachant leur réaction, J’enseigne parce que j’aime l’enseignement. Murmures. On ne peut pas aimer l’enseignement aujourd’hui, c’est trop mal payé par rapport aux autres métiers, riposta une autre voix du fond de la salle. Tous ses camarades approuvèrent.
Je souris de nouveau pendant quelque temps, et leur demandai, malgré leur insistance à continuer la discussion, de sortir leurs cahiers et prendre le programme de l’année. Je savais que je ne réussirais jamais à les convaincre. Ils savaient ce qu’ils disaient, et n’avaient pas tort. Quand ils regardent autour d’eux, la misère est toute l’image que leur reflète l’enseignement. Ils sont presque tous d’anciens étudiants de l’Université de Bamako, ayant déserté les facultés devant les grèves répétées de leurs enseignants réclamant leur dizaine de mois d’arriérés et l’amélioration de leurs conditions de travail. Ils connaissent les conditions de vie et de travail de ces hommes qu’on dit exercer le métier le plus noble, mais qui sont dans la plupart de nos pays les plus misérables des travailleurs.
Dieu seul sait pourquoi c’est l’enseignement que nos autorités choisissent de plus négliger dans nos pays. Ailleurs, il est vrai, leurs conditions ne sont pas meilleures par rapport à celles des autres travailleurs, mais ce qui se passe dans beaucoup de nos pays avec les enseignants est pathétique. Salaires bas et payés presque toujours avec de très grands retards, conditions de travail difficiles, promotions rares, primes inexistantes… L’enseignement ne fait plus rêver, que ce soit au cours primaire ou au niveau supérieur. L’amour d’une jeunesse à former, de l’élite future de nos pays à assurer, voilà tout ce qui peut aujourd’hui motiver ces hommes et femmes qui, quoi qu’on dise, restent nos plus grands constructeurs, ceux qui forgent, au jour le jour, les plus grandes âmes de nos nations. Courage et bonne année scolaire à tous les enseignants, d’ici et d’ailleurs.