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8 mai 2010 6 08 /05 /mai /2010 22:25

 

 

 

Ecoutons plus souvent nos classiques

 

Dans un article publié dans son blog sur la littérature négro-africaine, l’écrivain d’origine congolaise Alain Mabanckou, prix Renaudot 2006, faisait allusion à la jeunesse de nos classiques, ces classiques dont la plupart vivent aujourd’hui, continuent de donner des conférences sur leur œuvre, et qui des fois même, pendant ces conférences, croisent d’autres écrivains qui les avaient lus dès leurs premières années sur les bancs d’école. Le prix Renaudot avait donné l’exemple d’Henri Lopes, un de nos écrivains classiques, d’origine congolaise, dont il avait rencontré des textes, sur les bancs d’école, lors des redoutables épreuves de dictée française... Ce constat s’avère très juste, et presque tous les écrivains de la jeune génération peuvent aujourd’hui citer un ou plusieurs de ces écrivains classiques, chantres de notre littérature, qu’ils avaient lus à l’école primaire ou au collège, et considérés comme des dieux – comme à cette époque, on prenait tout ce qui est écrivain pour divin -, mais qu’ils croisent aujourd’hui dans les milieux littéraires. Le Béninois Florent Couao-Zotti de la jeune génération s’était tout récemment retrouvé au Salon du Livre de Paris dans un débat avec son aîné de trois décennies Olympe Bhêly Quenum. Deux fois déjà, j’ai croisé Seydou Badian, auteur du très célèbre Sous l’orage – ah, Sous l’orage du père Benfa, de maman Téné, de Boubouny le petit singe ! – ici à Bamako !

L’œuvre de ces auteurs classiques est d’une importance capitale pour tout intellectuel africain, qu’il soit dans le domaine littéraire ou pas. D’une part, les thèmes débattus, généralement la colonisation et le choc des cultures, bien qu’ils ne soient plus d’actualité, gardent encore une place de choix dans la formation de l’élite africaine de demain. Lire aujourd’hui Sous l’Orage, Mission terminée, Batouala, Le Pauvre Christ de Bomba, Une Vie de boy… permet de s’imprégner des réalités de cette Afrique des années 50, sous le poids de la colonisation et de la domination, mais surtout de se rendre compte que nos soi-disant indépendances n’ont pas encore eu lieu, comme le décor dans ces ouvrages est le même que celui que nous voyons aujourd’hui. Les relations entre les colons et les colonisés, le Nord et le Sud, comme on doit l’appeler aujourd’hui, n’ont pas changé, mais ont été seulement embellies par une petite couche d’humanisme. Le colon blanc, bien qu’il ne soit plus sur place pour nous tendre un piège sans fin, nous forcer à mener ni une vie de boy, ni une aventure ambiguë, continue de nous opprimer, nous dominer, nous humilier… euh, je veux dire nous continuons de nous faire opprimer, dominer et humilier par le colon blanc, sur tous les plans, cinquante ans après nos NON que nous avions lâchés comme des pets. D’autre part, la forme de ces ouvrages des années 50 et 60 garde quelque chose qui semble manquer aujourd’hui à notre littérature : la sobriété. Ces ouvrages sont tellement faciles à lire et à comprendre, et c’est justement ce qui donne envie, au jeune collégien ou lycéen qui les lit, d’écrire. Presque tous les écrivains noirs africains de la jeune génération, puis-je affirmer sans douter, ont lu et aimé les ouvrages cités plus haut, et d’autres comme : Le Vieux nègre et la médaille, Chemin d’Europe, O Pays mon beau peuple, Le Mandat, Ville cruelle, Le Fils d’Agatha Moudio, Un Piège sans fin, Maïmouna, Les Contes et les nouveaux contes d’Amadou Koumba... Et c’est le plaisir tiré de la lecture de ces textes qu’on trouvait si beaux – qui sont d’ailleurs si beaux ! -, qui pousse à prendre un stylo et un vieux cahier, pour commencer par griffonner des phrases immatures et pleines de fautes grammaticales et d’orthographe, qui grandiront, se purifieront, et s’embelliront au jour le jour, au fur et à mesure que grandit leur auteur.

Grande fut ma stupéfaction le mardi 04 mai 2010, quand invité à une conférence sur le thème « Jeunesse africaine et Immigration » par un compatriote étudiant en Lettres à l’Université de Bamako et prof de français dans un lycée bamakois, et où j’avais choisi pour la circonstance deux ouvrages de la jeune génération, Bleu Blanc Rouge d’Alain Mabanckou et Le Ventre de l’Atlantique de la Sénégalaise Fatou Diome, débattant tous deux de ce thème, je me rendis compte qu’aucun de ces élèves en classe de terminale littéraire ne connaissait réellement aucun de nos classiques !

Tout commença quand je leur demandai, pour ouvrir la conférence, de réciter le poème Souffles de Birago Diop, ce poème que j’ai déjà qualifié dans un article comme « ce poème que connaissent tous les élèves noirs africains » et qui reste pour moi, avec Prière d’un petit enfant nègre de Guy Tirolien, les plus beaux poèmes de notre littérature. Silence de cimetière dans la salle. Aucun de ces élèves à un pas des études universitaires ne connaissait ce poème ! Et quand je leur demandai de me citer les écrivains africains qu’ils connaissaient, seuls Seydou Badian, leur compatriote, Aimé Césaire, Senghor et Djibril Tamsir Niane furent cités. Un d’entre eux me cria Jean-Jacques Rousseau ! Je ne m’étais plus donné la peine, comme je l’avais prévu, de lire quelques extraits des deux ouvrages choisis, avant d’engager le débat. C’aurait été une cuvette d’eau versée sur un canard. Ils n’y comprendraient rien...

Pour comprendre la nouvelle génération d’écrivains africains, - les enfants d’Ahmadou Kourouma comme on peut les surnommer - plus opaque, totalement libérée dans la création littéraire sur fond de perversion de la langue où l’argot, le néologisme et la langue qui n’est plus pure que ça se côtoient pour faire bon ménage... plus fantaisiste à la grande désolation de Lilian Kesteloot, il faut avoir bien lu et assimilé les classiques, ceux-là qui sont en quelque sorte les syllabaires indispensables au futur lecteur. J’imagine la tête que ferait un collégien, et même un lycéen devant certaines phrases si baroques de Florent Couao-Zotti, des passages complètement impénétrables des intrigues de Kossi Efoui, des fantaisies à la Ti-Bravienne de Kangni Alem... !  Et que dire de tout un roman de deux cents pages sans un seul point, un roman sans phrase !

Du pain donc sur la planche pour les éducateurs qui doivent, si l’on veut vraiment faire lire et comprendre l’œuvre de la nouvelle génération des écrivains noirs africains, et perpétuer une riche création littéraire en Afrique noire, rapprocher plus les élèves de cette vague d’écrivains des années 50 et 60, ceux-là qui se retrouvent, d’une manière ou d’une autre, dans les créations des plus grands écrivains de notre génération. C’est au bout de l’ancienne corde que se tisse la nouvelle, dit un proverbe de chez moi. Alain Mabanckou, l’un des géants de la nouvelle génération, n’est-il pas un grand admirateur de Camara Laye dont il a d’ailleurs préfacé la dernière édition de l’Enfant noir ? 

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