Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
27 mai 2010 4 27 /05 /mai /2010 12:10

 

 

 

 

Emmanuel Dongala, un écrivain utile

 

Ils sont très nombreux, ceux qui se demandent aujourd’hui ce que valent réellement les écrivains noirs africains, ce qu’ils apportent concrètement à travers leurs écrits à leurs pays, leur continent. Ces écrivains d’origine congolaise, ivoirienne, togolaise, béninoise, malienne, sénégalaise... qui ont aujourd’hui facilement accès aux plus grandes maisons d’édition françaises, et qui commencent peu à peu à côtoyer les sommets de la littérature francophone, remportant d’année en année de prestigieux prix littéraires, augmentant le nombre de leur lectorat naguère très restreint, peuvent-ils se vanter aujourd’hui d’être, à travers leur art, de bons ambassadeurs de leurs pays ?  La question s’est tellement banalisée que dans chaque coin de rue, on reproche à ces écrivains de ne pas être des écrivains engagés. Le Togolais Kangni Alem, pièce maîtresse de cette jeune génération d’écrivains africains ayant réussi à se faire un nom dans le grand monde francophone, a tout récemment essuyé cette critique lors d’une tournée à Malabo en Guinée équatoriale. On lui a reproché – à tort - de ne pas consacrer sa plume à la dictature qui sévit dans son pays, le Togo.

En fait, cette question d’écrivain engagé, écrivant sur les problèmes politiques et socioéconomiques de son temps, est intimement liée à la genèse de la littérature négro-africaine. Quand on sait le contexte dans lequel est née cette littérature, avec des chantres comme Réné Maran avec sa tornade de Batouala, Aimé Césaire qu’on ne présente plus pour la vivacité et la virulence de sa poésie, véritable arme tournée contre la colonisation, Senghor... et la génération qui leur a succédé avec l’impétueux Mongo Béti, le rétif Ferdinand Oyono, Francis Bebey... on se dit que la littérature noire africaine n’existe que pour dénoncer, parler de ce qui ne va pas dans la société noire africaine. L’écrivain noir africain doit donc impérativement être la bouche des malheurs qui n’ont point de bouche.

Grande est donc la déception des lecteurs africains et même de certains écrivains et critiques littéraires, Lilian Kestelot par exemple, qui voient la nouvelle génération d’écrivains noirs africains, celle-là qui a commencé à émerger depuis les années quatre-vingt-dix avec des auteurs généralement nés dans les années soixante, des auteurs si doués, qui se démarquent peu à peu de la vie politique et socioéconomique de leurs pays d’origine pour embrasser des thèmes plus universels, qui ne sont pas spécifiques à leurs pays, l’homosexualité, le sexe, le racisme, les relations entre parents et enfants, les troubles de l’adolescence, la vie des sans-papiers... d’autres n’hésitant pas à se transformer en héros dans leurs ouvrages, racontant de la première à la dernière page leur monotone vie de star méconnue, alors qu’ils auraient pu parler des élections volées, du de-père-en-fils, du tripatouillage des constitutions,  de la gabegie, de la corruption, du banditisme, des malheurs des femmes, des enfants soldats... devenus monnaie courante dans leurs pays d’origine.

Ce procès, Dieu seul sait la partie qui le gagnera, car les écrivains accusés ont leurs arguments, très solides d’ailleurs. La littérature, c’est avant tout la beauté. Un ouvrage littéraire est une œuvre d’art et non un manifeste, un tract, un programme politique... Ils ne peuvent pas s’épanouir en s’enfermant dans les fadaises de leurs pays d’origine, ils ont besoin d’être des écrivains, et non des écrivains noirs africains. La vie politique d’un pays, c’est les hommes politiques qui s’en chargent, les écrivains ont pour mission d’agencer des mots pour créer de l’harmonie, la beauté.

 

*

*                        *

De toutes les façons, s’il y a dans l’actualité littéraire des écrivains noirs africains un livre qui comblera les attentes des lecteurs voulant des écrivains du peuple, c’est le dernier opus de l’écrivain d’origine congolaise Emmanuel Boundzéki Dongala, Photo de groupe au bord du fleuve, paru chez Acte Sud. Il est question, dans ce livre rédigé à la deuxième personne du singulier, de femmes congolaises cassant des pierres au bord du fleuve Congo, pour subvenir à leurs besoins. Des femmes qui, ayant décidé d’augmenter le prix de leur marchandise, vont se battre ensemble contre vents et marées, avec leurs moyens de femmes africaines, jusqu’à amener l’affaire devant le saint des saints, la femme du président de la République. Pas des femmes extraordinaires ! Mais des femmes africaines, celles-là qui sont généralement brimées dans tous leurs droits par leurs tout-puissants maris, frappées, violées, humiliées... Des analphabètes aux talons fendus pondeuses d’enfants rachitiques et mal nourris, prématurément fanées par les accouchements répétés... Dongala, dans ce livre, nous montre que dans le cœur de ces femmes si avilies que l’on retrouve dans tous les pays noirs africains, gronde, comme dans le cœur de ces femmes reconnues aujourd’hui comme modèles de femmes modernes luttant pour l’honneur du sexe féminin, la voix de la dignité. Ce thème n’est pas nouveau sous la plume de Dongala, car, dans son recueil de nouvelles Jazz et vin de palme – l’un des meilleurs recueils de nouvelles de notre littérature avec Tribaliques d’Henri Lopes -, il peint une femme congolaise, Augustine Amaya, qui se bat par son petit commerce pour nourrir et éduquer ses six gosses que lui a faits son mari l’ayant abandonnée pour une autre femme plus instruite.

Photo de groupe au bord du fleuve, même s’il se referme sur des femmes ayant gagné un combat mais pas la bataille, car beaucoup d’autres défis les attendent au jour le jour, est un hommage rendu à ces femmes noires-là mises à genoux par une Afrique toujours macho, qui doivent toujours tout subir, mais qui sont toujours prêtes à se relever, à s’affirmer. Un appel lancé à celles qui hésitent toujours à dire Non à l’oppression, celles-là qui se sont résignées dans leur pétrin, à se lever pour la lutte qui paie toujours.

L’auteur d’Un Fusil dans la main, un poème dans la poche, Jazz et Vin de Palme, Jonnhy chien méchant – adapté au cinéma- , Le Feu des Origines... signe de nouveau un livre-témoignage qui n’en est pas moins un véritable objet d’art bien poli par son style sobre et bien soigné. Et prouve qu’un écrivain engagé, utile, peut aussi en être un vrai.

 

Partager cet article
Repost0

commentaires

Présentation

  • : Agenda de ma boucherie
  • : Ce que je pense du Togo, de l'Afrique, et du monde qui m'entoure. Curieuse manière de le dire des fois, mais bah....
  • Contact

La Poétesse de Dieu

 

En librairie

 couerture-site.png

 

 

Fratricide.jpg

 

 

Gigolo-COUV.png

 

APO-FACE.JPG

Partenaires