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18 janvier 2014 6 18 /01 /janvier /2014 19:34

 

 

ZUNU

10e lettre ouverte au Premier ministre togolais Arthème Ahoomey-Zunu

 

Bamako, le 18 janvier 2014

Monsieur le Premier ministre,

C’est avec une très grande joie que j’ai appris, à travers la Presse, que vous êtes retourné à Lomé, après quelques semaines passées en France, hospitalisé pour une maladie dont le nom est tellement compliqué que nous autres, troupeaux de la plèbe, croyions qu’elle n’existe que sur papier, qu’elle ne peut pas vraiment attaquer, et qu’elle ne sert, surtout, qu’à justifier l’assassinat d’un enfant dont on ne veut assumer la responsabilité. Bonne arrivée, donc, cher frère. J’espère qu’on vous a fait ce rituel de chez nous, qui consiste à égorger un bélier aux pieds d’un visiteur de marque ou d’un voyageur qui revient d’une odyssée. Traverser et sortir sain et sauf d’un péro… péro… euh… bon, de votre maladie-là, cher frère, est vraiment un voyage homérique.

Monsieur le Premier ministre, vous connaissez, j’espère bien, cet adage de chez nous qui stipule que « tant que la plaie au genou n’est pas guérie, la tumeur à la naissance de la cuisse ne disparaît point ». Vous savez donc pourquoi je viens encore vers vous, ce 18 du mois, pour la dixième fois consécutive. L’enquête sur la mort de notre jeune frère Anselme Sinandaré assassiné par vos dogues en avril 2013, une enquête que vous avez promise à des millions d’oreilles de la Terre, et que nous n’avons pas encore eue. C’est juste un rappel, vous le savez, et je ne vais pas faire long. L’oreille attentive, dit la sagesse, n’a pas besoin d’avoir la taille d’un hamac.

Monsieur le Premier ministre, nous avons, nous autres, troupeaux de la plèbe, appris la décision de votre gouvernement de ne plus fêter le 13 Janvier, la fête qu’on nous a présentée depuis presque cinquante ans maintenant comme celle de notre Libération nationale, le jour qui a depuis été célébré comme le plus grand de notre pays. La raison : vous voulez renforcer le processus de réconciliation dans notre pays. Vous avez remarqué, vous, votre gouvernement, votre président et votre clan, vous avez donc remarqué que cette fête ne fait que diviser les Togolais, et comme vous ne voulez pas que les Togolais soient divisés, vous avez décidé qu’on ne la célèbre plus. Bravissimo ! Le serpent affirme que c’est parce qu’il regrette ne pas avoir des mains pour applaudir la tourterelle chaque fois qu’elle chante, qu’il se contente de l’écouter, enroulé sous l’herbe. Si nous, Togolais, avions eu cent mains, chacun, on vous aurait applaudis pour que toute la Terre écoute nos ovations devant votre si brillante décision.

Monsieur le Premier ministre, pensez-vous vraiment, comme vous voulez nous le faire croire, qu’en ne célébrant plus en grandes pompes le 13 janvier, le cœur meurtri d’un Togolais, d’un seul Togolais, se laissera toucher par le moindre rayon de pardon, de réconciliation ? La non-célébration du 13 Janvier rendra-t-elle justice à tous ces Togolais dont des parents, des enfants, des conjoints, des proches, des amis… ont été assassinés, mutilés, torturés, brûlés, noyés, envoyés en exil, dénaturés par une seule et unique main, celle du Léviathan que vous servez ? Tous ces Togolais qui, fatigués de pleurer et crier justice sans être écoutés, ont fini par se sentir étrangers, indésirables dans leur propre patrie ?

Monsieur le Premier ministre, en voulant trop sangloter aux funérailles de son beau-père, on finit par montrer sa bouche édentée à sa belle-mère, dit le dicton. Vous devez comprendre, Monsieur le Premier ministre, vous, votre gouvernement, votre président et votre clan, que votre silence vous va mieux aujourd’hui que tout discours. Que l’inaction vous va mieux aujourd’hui que toute action désordonnée, gauche, qui ne fait qu’accentuer votre échec à unir le Togo. Que l’indécision vous sert mieux aujourd’hui que toute décision que vous aboyez sachant bien que vous ne la respecterez pas. Vous auriez mieux fait de continuer à fêter votre 13 Janvier – permettant au moins chaque année aux femmes de vos policiers, de vos militaires, de vos gendarmes d’avoir gratuitement de nouveaux pagnes -, vous auriez dû laisser ce 13 janvier comme vous l’a transmis votre regretté père de la nation, au lieu de faire de sa suppression une nouvelle occasion pour vous ridiculiser dans vos éternels échecs.

Monsieur le Premier ministre, la réconciliation, vous le savez très bien, elle n’a rien à voir avec le 13 Janvier et son abolition. Elle commencera, la vraie réconciliation au Togo, par des enquêtes, de vraies, sur les martyrs, tous les martyrs du Togo. Prenez vos responsabilités vis-à-vis de vos victimes. Prenez vos responsabilités devant l’assassinat de ce pauvre petit innocent, Anselme Sinandaré. Ce n’est pas vous, Monsieur le Premier ministre, qui l’avez tué, Anselme. Ah, ça non ! Vous ne savez peut-être même pas qui l’a tué. Mais vous avez promis de nous éclairer sur sa mort, parce que vous savez que vous en avez les moyens. Et nous vous attendons. Depuis neuf mois.

Très cordialement

Yao David Kpelly

 

 

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