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16 mai 2010 7 16 /05 /mai /2010 14:23

 

 

 

 

Lamento d’un exilé

 

to-lgflag

 

La douleur nous précède et nous enfante au jour

La douleur à la mort nous enfante à son tour

Et le matin n’a plus de voix qui me réveille

Et mon âme est déjà triste comme la mort.

 

Oui, comme celle d’Alphonse de Lamartine à qui appartiennent ces vers, mon âme, ce soir, est triste comme la mort.

Jeunesse togolaise !  Jeunesse sans histoire, sans espoir ! Jeunesse sacrifiée, qu’ont-ils fait de toi ?

Depuis mon arrivée ici à Bamako en 2007, pour un stage que j’ai par miracle décroché à la Banque de l’Habitat du Mali, je me suis toujours posé des questions sur le sens réel de la vie que mènent ces jeunes Togolais, dans la plupart des cas des ouvriers sans grande qualification, des cuisiniers qui se sont formés dans des restaurants ici à Bamako, des enseignants au cours primaire... qui se sont donné corps et âme à l’alcool. Un tour dans les restaurants togolais où se vendent nos plats, très rares ici, et vous les voyez devant des verres de sodabi, complètement soûls, les yeux rouges, cherchant à discuter avec qui voudrait leur parler. Ils ont tous entre trente et quarante ans, toujours célibataires, sans économie solide. Pourquoi boivent-ils ? Qu’attendent-ils de cette vie sans fondation dans ce monde devenu si compliqué pour ceux qui n’ont rien ou n’en ont pas assez ? Quels sont leurs rêves, leurs espoirs ? Pensent-ils s’en sortir un jour ? De quelle manière ? Tant et tant de questions auxquelles je ne suis jamais arrivé à trouver une réponse. Les amis que j’interroge très souvent sur la situation non plus n’ont jamais réussi à me donner satisfaction, se contentant de me dire que même le plus démuni de la Terre rêve, a des projets, des espoirs. Des espoirs pour un jeune de presque quarante ans, sans réelle qualification, et buvant tous les jours ?

Mais alors pourquoi boivent-ils donc, Bon Dieu ?

Hier soir, ayant décidé de briser l’omerta, je me résolus d’interroger un, comme moi nommé David, et qui chaque fois qu’il me voit m’appelle « mon second ». David, depuis que je l’ai rencontré dans ce restaurant il y a presque deux ans, est toujours ivre mort, et raconte des fadaises qui emmerdent des fois certaines de ses cibles qui ne se lassent de lui distribuer, en retour, injures et malédictions. Une fille, à qui il essaya un jour de toucher les seins, lui avait donné deux puissantes gifles sous les éclats de rire des autres clients.

- David, dis-moi, pourquoi bois-tu tant ? Sais-tu, c’est nuisible pour la santé, et nous qui sommes si loin de nos familles, il faut prendre des précautions pour ne pas tomber malade. Ne pourrais-tu pas arrêter de boire ainsi ?

Mon interlocuteur, les membres tremblants, me regarda d’un œil avant de vider son verre qu’il remplit de nouveau.

- Mon second, veux-tu savoir pourquoi je bois ? me demanda-t-il en portant le verre plein à la bouche.

Pourquoi, bigre, n’avais-je pas dit non ! Oui, j’aurais dit non, et aurais gardé ma quiétude, dans mon innocence, qui des fois peut être salutaire. Oui, il y a de ces situations, de ces cas, de ces histoires qui sont à ignorer, à ne pas connaître, pour vivre tranquille. Ah, pourquoi avais-je insisté pour écouter l’histoire de David ?

Ce matin du 02 décembre 2005, il avait dit adieu, les larmes aux yeux, à sa mère, à la gare routière d’Amoutivé, non loin de Décon. Il fuyait et le chômage qui lui était devenu insupportable, et les répressions des milices de Faure Gnassingbé et de son RPT qui tuaient les jeunes qui avaient voulu l’empêcher de remplacer son père sur le fauteuil présidentiel. Il partait hors du Togo. Il partit hors du Togo. Pour le Mali. Dieu était vraiment d’accord avec son voyage et Il le bénit. Il trouva du travail comme cuisinier dans un hôtel bamakois, et était payé à 75 000 Fcfa le mois, une véritable manne pour un chômeur tout droit descendu du Togo. Mais... Oui, il faut toujours ce « mais », pour que se joue la tragi-comédie de la vie ! Il perdit son travail juste après onze mois, accusé, à tort, selon ses termes, d’avoir volé des bouteilles de liqueur. Chômeur, il était devenu. Un chômeur hors de son pays ! Bon Dieu, Toi seul sais ce que c’est ! Un soir, alors qu’il n’avait que six cents francs en poche, on l’appela sur le téléphone d’un de ses amis, du Togo. Sa mère avait fait une crise. On devait l’amener à l’hôpital. Il devait envoyer de l’argent, comme il était le fils unique de cette dernière. Il promit d’envoyer les sous le lendemain, comptant sur des prêts chez ses amis. Mais - le « mais » du drame - aucun de ses amis ne voulut lui prêter de l’argent. Il était sans boulot, donc insolvable. Deux jours après, la même voix qui lui avait annoncé la maladie de sa mère, lui annonça la mort de cette dernière. «  Comme tu n’as pas voulu envoyer de l’argent pour la soigner, elle est morte », avait dit la voix. Le jour suivant, ayant réussi à avoir des prêts pour faire le voyage retour au pays, quand il était à la gare, attendant le départ du bus, la voix qui avait annoncé la mort de sa mère lui annonça l’enterrement de cette dernière. On avait décidé, sur les conseils des membres de sa paroisse, de très vite l’enterrer, comme une musulmane, comme elle n’avait pas de famille, et que son fils unique ne voulait pas la prendre en charge, lui avait expliqué la voix.

David descendit du car, et retourna chez lui. Il n’allait plus partir au Togo. Il n’y partira plus jamais. « Je n’ai plus aucun rêve dans la vie. Je vais vivre et mourir soûlard. Si je meurs, on m’enterrera ici, comme on y enterre beaucoup de compatriotes. Je suis maudit. »

Pas un signe de tristesse ni dans la voix, ni sur le visage, sauf cette profonde angoisse qui se lit dans la voix de ceux qui ne vivent que pour attendre la mort. Il vida d’un trait le petit verre de sodabi, le remplit de nouveau et commença, comme toujours, à raconter des fadaises aux autres clients qui, avant de s’en aller, le gratifieront qui d’une injure grossière, qui d’un juron, qui d’une malédiction... L’humiliation au quotidien, pour attendre l’enfer... ou, peut-être, le paradis.

Il est deux heures du matin, je fais semblant de lire un ouvrage de Communication d’entreprise, mais je suis loin, très loin. J’ai peur. Je suis trop loin de ma mère. Je suis trop loin de celle qui, depuis 1999, la date de la mort de mon père, a tout vendu jusqu’à ses pagnes et bijoux pour que je n’arrête pas les études. Qu’est-ce que je fais ici, si loin de celle pour qui je suis ici ?

Il est également deux heures dans cette chambre du quartier Dzidzolé, à plus de deux mille kilomètres de moi, où elle ne dort pas encore, à genoux avec mes deux sœurs qui ont les yeux lourds de sommeil, qu’elle force à prier pour leur frère. Il faut qu’il ait son diplôme, et que marche bien son boulot...

Mon diplôme, mon boulot ? Non ! Mère Marthe, il faut que je retourne. Tu grandis, tu vieillis, et j’ai peur d’être si loin de toi. L’histoire du soûlard David me fait peur. On ne doit pas être loin de sa mère ! L’exil n’est pas fait pour un jeune qui doit être toujours près de sa mère et tout lui donner. Oui, je suis en exil ici. J’ai quitté mon pays en fuyant le chômage, l’échec dans la vie. Je veux retourner au Togo ! Il faut que je retourne chez moi !

 

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